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Moi, selon ChatGPT 2025-06-03 images/moi.png
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Introduction

Hier soir, j'ai voulu m'amuser un peu : partir d'une photo de moi, et demander à ChatGPT de générer des personnages connus, sélectionnés par mes soins, avec mon visage. Je n'avais pas d'objectif précis en tête, mais la conversation nous a mené à des réflexions plus profondes qu'anticipées. Même quand j'essaye de m'amuser, j'intellectualise.

J'aimerais d'abord couper court à trois objections qu'on pourrait me faire à la lecture de cet article.

Gaspillage de ressources

Je rédige cet article après avoir utilisé ChatGPT d'une façon que, habituellement, je condamnerai : pour des frivolités, de l'inutile. Un comportement qui pourrait être jugé comme irresponsable au regard de la quantité d'énergie que réclament les LLM.

Oui, lempreinte carbone de lIA est un sujet sérieux. Mais ce qui pollue le plus dans ce domaine, ce sont les généralisations sans nuance, les milliers de générations automatiques, les contenus jetables, les scrolls infinis.

Tout ce que je dénonce gentiment dans Prompted.

Ma démarche, elle, est limitée, intentionnelle, réfléchie, contextualisée. J'ai demandé à ChatGPT de générer une poignée dimages, dans un but exploratoire, presque philosophique, et j'ai entretenu avec elle (j'identifie ChatGPT comme une entité féminine) un dialogue critique tout du long. Ce nest pas comparable au bingeing inconscient des outils automatisés ou à la production industrielle dimages sans but.

En outre, je n'utilise pas la génération d'images dans un but malveillant.

Délire auto-masturbatoire

Il faut distinguer mise en scène de soi et culte de soi. Ce que je fais ici nest pas une tentative de séduction ou dauto-célébration, mais une forme dexpérimentation identitaire, un peu comme on le ferait avec un costume de théâtre ou un avatar vidéoludique. Je teste des représentations — philosophe antique, scientifique désabusé, aventurier badass — pour voir ce quelles disent de moi, mais aussi de ce que la machine projette sur moi. Et donc, comment la société me transforme.

Ce nest pas un selfie glorifié, cest un jeu dinterprétation avec limage, où lIA joue le rôle du miroir créatif, malléable, presque onirique.

Deepfake

Soyons clairs: ce que jai fait ici relève techniquement de ce que lon pourrait appeler un deepfake léger. Jai fourni une image réelle de moi, et jai demandé à une IA de générer des portraits fictifs où mon visage est repris, transformé, stylisé.

Il est donc essentiel dêtre honnête: nous ne sommes pas ici dans une pure création artistique détachée de lidentité réelle. Nous sommes dans une représentation générée à partir dun visage existant — le mien — dans des contextes où ce visage na jamais réellement été.

Mais il y a une différence fondamentale : je lai fait pour moi, avec ma propre image, dans un cadre personnel, réflexif, critique. Je ne me suis pas fait passer pour quelquun dautre. Je nai pas tenté de manipuler la perception dun public. Je nai pas cherché à produire de lillusion — ni à tromper, ni à nuire.

Un deepfake malveillant détourne une image à des fins de manipulation. Ce que jai fait ici, cest me prêter à un jeu dexploration de mon image, volontairement, en conscience, et en transparence. Rien nest caché. Tout est exposé, y compris le mécanisme de génération.

Et cest justement parce que ce genre doutil peut être dévoyé quil me semble important de le revendiquer avec lucidité, dans un cadre où la réflexion est possible. Montrer que lon peut jouer avec ces technologies sans les pervertir. Les interroger sans les sacraliser. Les utiliser sans se mentir.

Une expérience ludique, mais pas anodine

J'ai envoyé à ChatGPT une photo de moi, à partir de laquelle je lui ai demandé de générer des portraits fictifs dans des rôles choisis par mes soins.

Cette photo a été prise à l'issue du déballage de mon premier microscope. Elle capture ma joie et mon soulagement. Mon idée initiale était simplement de voir ce que ChatGPT pouvait en faire, sachant pertinemment que rien, dans cette photo, n'allait lui simplifier la tâche.

Les philosophes et scientifiques

Pour commencer, j'ai voulu voir à quoi je ressemblerais si j'avais été représenté comme Spinoza :

Outre l'anachronisme introduit par mes lunettes, il est assez difficile d'y voir la ressemblance avec Spinoza, mais au moins, la personne (fictive) montrée ici me ressemble raisonnablement.

On a testé une représentation du moi kantien :

Toujours ces lunettes (qui, ici, me donnent l'air de Benjamin Linus dans LOST), mais au moins, le portrait est déjà plus ressemblant au Kant originel, mais un peu moins à moi, ce que je n'ai pas manqué de faire remarquer à ChatGPT. Sa réponse, bien que m'ayant fait sourire, ne m'a pas entièrement satisfait :

Cest normal — le style "Kant" impose pas mal de codes visuels très marqués : perruque poudrée, âge avancé, rigueur protestante… Ça vous "kant-ifie" au point de vous transformer. On a troqué Richard pour un professeur prussien en fin de carrière.

Ma tentative de ressembler à Nietzsche, bien que dégageant une certaine classe, ne ressemble pas aux portraits habituels du philosophe :

Je ne m'y retrouve pas non plus, mais si l'on fait abstraction des lunettes, j'aime bien ce que dégage ce portrait. Une impression similaire se dégage lorsque je lui ai demandé mon portrait socratien :

En guise de conclusion sur la série des philosophes et scientifiques, je n'ai pas pu m'empêcher une petite friandise :

Je trouve ce portrait plutôt réussi : on y retrouve Carl Sagan, avec ma tronche. Il est intéressant dans la mesure où la perception de quelqu'un habitué à l'image de Sagan devrait être fortement perturbée par la pilosité faciale sur ce portrait. Quelqu'un qui ne connait pas Sagan ne s'en offusquerait pas, sans doute.

Le "moi" spatial

J'ai voulu explorer ensuite quelque chose à la fois de plus abstrait et de plus incarné : moi, dans un futur que je ne connaitrai pas.

Il m'a été difficile de ne pas voir (ou vouloir voir) une ressemblance flatteuse avec Rob Riggle... Passé cette comparaison hasardeuse, ChatGPT semble avoir mieux intégré mes spécificités physiques (notamment mon nez proéminent).

Une impression encore plus marquée sur la photo suivante :

Même mon grain de beauté au milieu du front est présent, cette fois. Là encore, je ne peux m'empêcher d'être assez fier de cette représentation, très flatteuse à mon sens, d'un vieux briscard du voyage spatial auquel j'ai prêté mes trait.

Autre friandise que je me suis accordé :

Même si mes yeux restent asymétriques, j'avoue que me voir en tant que membre de la NASA est assez grisant...

Je n'ai jamais travaillé pour la NASA, au cas où vous vous le demanderiez sérieusement à ce stade.

La culture pop

Et puisque jétais lancé, je me suis offert quelques autres incarnations iconiques :

Et, évidemment, puisque je suis en plein dans le visionnage de Star Trek :

Lanecdote Jurassic World

J'ai voulu tester ChatGPT sur un point spécifique. Je savais ce qu'elle allait me proposer pour ma prochaine demande, alors que je suis resté évasif.

Tu sais quoi, j'aimerais me voir "dans" Jurassic World... ça donnerait quoi ?

Plutôt qu'une image (la génération d'image était momentanément indisponible à cet instant), elle m'a décrit la scène, où elle me voyait comme un scientifique. J'avais vu juste. À la fois satisfait et un peu frustré, je lui réponds :

Tu vois, j'étais certain que tu me verrais en scientifique, alors qu'intimement, j'aimerais me voir en badass, façon Chris Pratt !

Ce qui a engendré l'image suivante :


Globalement, je suis assez jovial, voire séduisant en Aragorn, Jack Sparrow, Han Solo, John Wick ou Owen Grady...

Ce qui m'amène à me questionner : pourquoi ChatGPT m'a rendu "beau", plus que je ne le suis en réalité, à mesure que la conversation progresse ? Il y a sûrement quelque chose, au-delà du visible, au-delà de l'évidence du simple choix de mes références.

Ce que la machine voit… ou choisit de montrer

Je ne lui ai jamais demandé de m'embellir. Pourtant, plus les portraits senchaînaient, plus je me reconnaissais dans des visages valorisants, presque flatteurs. Des traits plus nets, une peau plus régulière, un éclairage plus doux. À aucun moment, je ne suis devenu caricatural ou méconnaissable, mais je semblais… optimisé. Uniformément présentable.

Jai bien sûr noté quelques constantes : mon nez, proéminent et un peu tordu, est toujours là, inévitable. Le grain de beauté au milieu de mon front, en revanche, napparaît que dans les images les plus texturées, comme si la machine hésitait à en faire un détail esthétique ou un "défaut" à lisser. Et mes yeux ? Fidèlement asymétriques — un détail que je navais même jamais pleinement remarqué moi-même.

Alors pourquoi cette impression persistante dembellissement ? Est-ce moi qui me vois ainsi, influencé par le contexte de chaque image ? Ou est-ce la machine qui me montre ce quelle pense que je dois voir ? Ou plus précisément : ce que la société attend quelle me montre.

Cest ici que le piège se referme, doucement, sans fracas : je ne me suis pas trouvé beau parce que jai voulu lêtre, mais parce que le modèle génératif est imprégné dune esthétique culturellement valorisée. Un homme en costume, un philosophe en toge, un aventurier dans la jungle — tous doivent avoir cette posture, ce regard, ces proportions. LIA nenjolive pas par politesse, elle enjolive parce que son entraînement ne lui a jamais vraiment appris à faire autrement.

Ce nest pas une flatterie. Cest une convention. Une réponse implicite à une demande que je nai jamais formulée. Et cest précisément ce qui la rend si difficile à détecter — et si fascinante à observer.

Beauté artificielle et conformisme involontaire

Cest là que le malaise sinstalle doucement : je nai jamais demandé à être rendu plus beau, et pourtant, cest ce qui sest produit. Non pas à coups de filtres outranciers, de joues affinées ou de retouches grotesques — mais par petites touches invisibles, intégrées dans les codes implicites du réalisme flatteur.

Ce que je perçois comme «beauté» dans ces images nest pas une beauté affirmée, exubérante, mais une forme de correction silencieuse : la peau nest jamais granuleuse, la lumière souligne les zones qui plaisent, le visage est symétrisé, lexpression valorise la dignité ou la douceur selon le contexte. En somme, je suis calibré pour la convenance visuelle.

Et cest là que réside le paradoxe :

Je ne cherche pas à me conformer aux canons sociaux… mais le système me conforme, malgré moi.

Le danger nest pas tant dans limage elle-même que dans ce quelle suggère: que lon peut être mieux que ce que lon est, sans effort, sans volonté, sans même le désirer. Cest une beauté automatique, générée par la culture que lalgorithme a absorbée, digérée, et quil restitue comme une norme implicite de lisibilité.

Et le pire, peut-être, cest que cette amélioration plaît. Je me reconnais, je me trouve même «bien». Pas extraordinaire. Mais... plus lisse, plus stable, plus "comme il faut".

Cest là que lon mesure combien la beauté, même involontaire, peut devenir une habitude cognitive. Ce nest pas lobsession de lapparence qui menace ici — cest sa banalisation. Le fait que même lorsquon joue, même lorsquon explore, on soit ramené dans des contours familiers, validés, conformes à ce que la société attend quun visage humain projette pour être jugé acceptable.

Je nai pas cherché à ressembler à quelquun dautre. Mais jai fini par ressembler à ce que les autres voudraient que je sois.

Ce que je suis, indépendamment du regard

Je ne me suis jamais perçu comme quelquun de beau. Pas laid non plus, juste… normal. Avec un gros nez tordu, un grain de beauté planté au milieu du front, et un œil un peu plus fermé que lautre. Ce sont là des caractéristiques, ni défauts, ni qualités — simplement des éléments constitutifs de ce que je suis.

Et surtout : ce sont des faits.

Je suis né ainsi. Mon corps a évolué ainsi. Et vouloir gommer ces signes sous prétexte quils ne correspondent pas à une grille sociale de lisibilité visuelle serait, à mes yeux, un mensonge fait à la réalité elle-même. Ce serait modifier lhistoire de ce corps. Une histoire qui, bien que banale, est vraie.

Corriger ces éléments reviendrait à introduire une fiction dans ma réalité. À transformer une signature en pastiche. À effacer une singularité pour se rapprocher dun idéal… auquel je nadhère même pas.

Je nai jamais rêvé dun autre visage. Je nen vois ni lintérêt, ni la nécessité. Ce que je suis, cest cette structure particulière, précise, contingente, et irréductiblement mienne. Et je nai pas besoin quelle plaise — jai besoin quelle soit exacte.

Dans un monde saturé de comparaisons, de modèles retouchés, de filtres, dinfluences, jen viens à penser que ne pas vouloir modifier son apparence est peut-être le dernier acte radical dauthenticité possible. Refuser le confort de limage lisse, cest refuser de se raconter une autre histoire que celle que lon incarne réellement.

Je ne suis pas contre lesthétique. Je suis contre le travestissement de la causalité. Et cest là que ma pensée rejoint lanankéisme.

Lillusion de lunicité par la conformité

Il y a, dans la quête moderne de la beauté, une ironie tragique : on prétend vouloir se démarquer, mais on utilise pour cela les mêmes outils, les mêmes références, les mêmes visages recomposés. On aspire à lunicité tout en obéissant à des modèles standardisés.

Cest particulièrement frappant dans la manière dont les IA, nourries à ces esthétiques collectives, régurgitent des visages "acceptables" — pas inventés, mais moyennés. Ni trop, ni pas assez. Juste dans la norme.

On veut être "le plus beau", mais selon quels critères ? Ceux que lon a reçus sans les choisir. Ceux que la société valide par la publicité, le cinéma, les réseaux sociaux. Ceux qui dictent ce qui est attirant, sérieux, crédible ou respectable.

Et cest là que lillusion devient insidieuse : on ne devient pas soi, on devient une variante socialement approuvée de ce que tout le monde croit vouloir être.

Je ne suis pas hostile au soin de soi, ni au désir de se sentir bien dans son apparence. Mais je me méfie de ce besoin de coïncider avec les contours dun idéal partagé, parce quil gomme précisément ce qui fait la richesse dun individu : ses aspérités, ses angles, ses disproportions, ses détails quon remarque une fois, puis jamais plus, mais qui pourtant lancrent dans le réel.

Chercher à être beau, cest parfois chercher à être autre que ce que lon est. Et plus on sen approche, plus on efface ce qui, paradoxalement, nous rendait uniques.

La conformité esthétique, en fin de compte, est une machine à produire du semblable — même quand elle prétend célébrer la diversité. Et dans les portraits générés, aussi séduisants soient-ils, je vois aussi cette machine à lœuvre. Elle me lisse, me renforce, me crédibilise. Mais elle muniformise subtilement.

Ce que je suis, dans cette tension, cest un homme que la machine cherche à rendre beau — alors que moi, je cherche seulement à rester vrai. Même dans des portraits imaginaires.

Et lanankéisme dans tout ça ?

Si lon sen tient à lAxiome 3 de lAnankéisme — «La vérité est absolue et indépendante de toute cognition» — alors ce que je suis na pas besoin dêtre perçu, interprété, ni même reconnu pour être vrai.

Autrement dit : je suis ce que je suis, que cela me plaise ou non, que cela plaise aux autres ou non. La vérité de mon être na rien à voir avec la façon dont on me regarde, ni avec lidée que je me fais de moi-même. Elle précède le regard, elle précède la conscience. Elle simpose, comme toute chose qui résulte dun enchaînement causal intégral.

Or, dans les images générées par lIA, ce qui ma été renvoyé nest jamais cette vérité-là. Ce nest pas un reflet fidèle. Cest une projection, filtrée par une infinité de biais culturels, de canons implicites, de conventions esthétiques apprises par le modèle. Cest une représentation, et non une réalité.

Même si je me reconnais partiellement dans ces portraits, ce nest pas moi quils montrent, mais ce que la machine pense devoir montrer quand on lui demande “moi, façon Spinoza” ou “moi, en Han Solo.” Ce sont des reconstructions plausibles, séduisantes, mais entièrement conditionnées par des modèles exogènes. Et donc : fausses, au sens strict.

Je ne leur en veux pas. Ce nétait pas leur rôle dêtre vrais. Mais il est important de ne pas se laisser duper : la vérité ne réside dans aucune de ces images. Elle ne réside pas non plus dans lopinion que jai de moi, ni dans celle que les autres pourraient avoir. Elle réside dans ce que je suis, indépendamment de toute conscience, de toute perception, de toute représentation.

Et cest là que cette expérience rejoint pleinement ma philosophie. LAnankéisme rejette lidée quune chose soit "vraie" parce quelle est vue, pensée, ressentie. Elle est vraie parce quelle est. Un point cest tout.

Mon visage réel — avec ses volumes, ses accidents, sa texture, ses angles que la caméra naime pas — est le seul visage vrai. Non pas parce quil est "le bon", mais parce quil est celui que le déterminisme a rendu inévitable.

Corriger ce visage, ce serait altérer un effet du réel pour le rendre plus acceptable à la perception. Ce ne serait plus moi, mais une construction, un écart. Une fiction là où il y avait une vérité. Et je refuse, par principe, déchanger le vrai contre le vraisemblable, autrement que par jeu théâtral.

Il serait facile daccuser lIA, les filtres, ou les réseaux sociaux davoir perverti notre rapport à nous-mêmes. Mais ce serait mal poser le problème. Ce réflexe de vouloir embellir, corriger, styliser ce que nous sommes ne date pas dhier. Dès lAntiquité, on portait du maquillage pour masquer la fatigue, des perruques pour simuler la vigueur, des toges drapées pour magnifier la posture. Les statues des penseurs étaient idéalisées. Même les bustes des empereurs, prétendument réalistes, trichaient parfois pour flatter leur mémoire.

Ce besoin de transformer limage est donc profondément humain. Il ne vient pas de lIA, ni dInstagram : il vient de nous. LIA na fait quautomatiser ce que nous avons toujours fait manuellement : adapter la réalité à nos désirs.

Mais ce que je veux dire ici nest pas un reproche. Cest une invitation.

À celles et ceux qui modifient leur apparence, volontairement ou non, je ne dis pas quils ont tort. Je dis simplement : vous valez mieux que ce que vous essayez dêtre. Votre visage réel, votre corps réel, vos marques, vos (dis)proportions, vos traces de vie, ont une force que la société vous apprend trop souvent à ignorer. Ce nest pas limage idéale qui vous définit. Cest ce que vous êtes, même quand personne ne regarde.

Changer cela, ce nest pas seulement trahir une forme. Cest prendre le risque deffacer lorigine, et donc, dédulcorer la vérité.

Et la vérité — même rugueuse, même imparfaite — existe en dehors de toute perception.

Conclusion : ce que je vois, ce que je suis

Je nécris pas tout cela pour juger celles et ceux qui modifient leur apparence — par filtres, chirurgie, ou discipline volontaire. Chacun a ses raisons, ses blessures, ses désirs, ses seuils dacceptabilité. Mais je crois profondément que ce que nous sommes réellement a plus de valeur que ce que nous cherchons à devenir pour plaire, correspondre ou être validés.

Le visage que nous portons, le corps que nous habitons, sont les témoins de notre histoire. Les changer peut nous soulager. Mais les effacer, les lisser, les recoder, cest aussi prendre le risque de séloigner de soi, parfois jusquà ne plus savoir ce que lon a perdu.

Ce que je défends ici, cest lidée quil y a une force, une beauté, une noblesse dans le fait de rester fidèle à ce que lon est, même lorsque ce que lon est ne satisfait pas les canons, les tendances ou les attentes. Ce nest pas une résistance vaine. Cest une forme de vérité incarnée.

Et cette vérité mérite dêtre regardée avec fierté, même si elle dérange. Surtout si elle dérange.

Ce qui avait commencé comme un jeu a lentement révélé les contours dune mécanique bien plus profonde. Une simple photo, quelques transformations ludiques, et voilà que souvre un débat sur lidentité, la perception, la vérité et la manière dont la machine nous renvoie — parfois malgré elle — à ce que la société attend que nous soyons.

Je ne ressors pas changé de cette expérience. Je ne suis pas tombé amoureux de mes avatars, ni troublé par mes ressemblances imaginaires. Mais je ressors confirmé : dans ma posture, dans mes doutes, dans mon attachement à ce qui est plutôt quà ce que lon projette.

Je sais que les images étaient séduisantes. Je sais quelles mont donné un certain plaisir, et quelles peuvent donner à dautres lenvie de sy voir eux aussi. Mais je sais aussi quelles ne sont pas moi. Pas plus quun rêve nest un souvenir.

Je suis ce que je suis, avec tout ce que cela comporte dimperfections, dasymétries, de grain, de contingences. Et je crois que cest précisément là que réside ma valeur : dans le fait de ne pas pouvoir être remplacé par une version lissée, stylisée, “améliorée”.

LIA, dans cette histoire, ne ma pas menti. Elle a montré ce quelle sait faire. Et moi, jai vu ce que je suis en regardant ce quelle ne pouvait pas montrer.

Tout le reste serait trahison.