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images/header.webp 2024-10-21 L'art oublié de la microscopie amateur

Lère des Hommes - lAnthropocène - est irrémédiablement marquée par la dernière extinction de masse que la Terre ait connu. La biodiversité chute en effet depuis 13 000 ans à un rythme dramatique, tandis que le nombre despèces en danger critique dextinction ne cesse daugmenter. En outre, le phénomène accélère. Nimporte qui peut se rendre compte - par lui-même ou en lisant la presse traditionnelle - de la raréfaction de certaines espèces doiseaux, de papillons, des abeilles, mais aussi des végétaux, notamment certaines essences darbres.

Ainsi, des initiatives de science participative ont vu le jour, et les amateurs disposent désormais doutils pour collaborer avec les scientifiques dans leurs observation de la faune et de la flore, quelles soient sauvages, urbaines, rurales ou maritimes.

Citons notamment :

birdnetpi

Lun des objectifs des sciences participatives impliquant lobservation du Vivant est de sensibiliser aux difficultés que rencontrent les espèces animales, végétales ou fongiques aux côtés de lHomme. Ne devrions-nous donc pas observer le Vivant à toutes les échelles ? Après tout, les organismes microscopiques sont à la base du réseau trophique : si la base du réseau est branlante, tout le réseau est en danger.

Lastronomie est un domaine particulièrement prisé des amateurs et des passionnés, et là encore, la science participative fait lobjet de nombreux projets auxquels tout le monde (équipé dun télescope) peut prêter main forte. Cela, alors quun « bon » télescope peut coûter dans les 2000 euros (et bien plus).

Loutil de prédilection des sciences participatives reste évidemment lappareil photo, comme en témoigne la liste des projets du MNHN, suivi par le télescope. Mais ce dernier nest pas utilisé pour observer le Vivant, jusquà preuve du contraire !

Étonnamment, un « bon » microscope optique semi-professionnel peut se trouver à moins de 500 euros. Pourtant, la microscopie optique semble être encore un domaine de lobservation du Vivant réservé aux laboratoires, avec des objectifs essentiellement liés à la santé Humaine. Les amateurs existent mais sont peu nombreux, et les projets de sciences participatives impliquant un microscope sont tout aussi rares - voire inexistants.

Notons dailleurs avec ironie que la plupart des sites internet suggérant des éléments à observer au microscope sont presque unanimes : il faut observer ses spermatozoïdes (pour ceux qui en ont)…

cfm

Alors, si un microscope est moins cher quun télescope, et quen plus il permet détudier le Vivant, pourquoi son usage reste marginal et sous-représenté dans les projets de science participative ? Cela ne peut sexpliquer par la présence de meilleurs outils dans les laboratoires, disposant de microscopes électroniques, à fluoroscopie, ou à sonde locale, capables de scruter les atomes. Après tout, les observatoires astronomiques disposent de télescopes bien plus puissants que ceux des amateurs, ce qui na pas freiné ces derniers dans leur volonté dexplorer le ciel nocturne.

Peut-être est-ce parce que les ouvrages de référence modernes nexistent pas, sont rares ou inaccessibles ? Ou peut-être parce que nous avons décidé que, comme les dinosaures, les microscopes seraient réservés aux enfants ? Comment expliquer le désintérêt des adultes pour les espèces microscopiques - à part pour les puces de lit ?

Alors, si des astronomes amateurs et passionnés sont capables dapporter leur contribution à la science, malgré les faiblesses techniques de leurs appareils (comparativement au matériel des observatoires), pourquoi ne pas contribuer de façon aussi significative et médiatisée à léchelle microscopique ?

Lespace est vaste et richement peuplé. Deux astronomes amateurs explorant la même région de lespace sont parfaitement capables, statistiquement, de découvrir deux objets astronomiques jamais catalogués auparavant. Le monde microscopique aussi est vaste et riche. Et peut-être que là aussi, d'autres citoyens passionnés peuvent découvrir des choses.

Pas forcément de nouvelles espèces, encore que cela ne serait pas surprenant. Mais si l'observation "macroscopique" (à notre échelle) peut nous sensibiliser à la cause du Vivant, l'observation "microscopique" doit se révèler tout aussi importante.

Peut-être que nous imaginons que, parce que ces organismes sont plus fins quun cheveu, ils nont pas de raison de se retrouver dans une situation de danger dextinction, ou que nos polluants nagissent pas sur eux de la même façon que sur nos mammifères, ou même sur nous. Peut-être que les micro-plastiques ne sont pas un danger pour eux et représenteraient plutôt léquivalent dun récif artificiel pour des poissons.

En tant quamateur, la microscopie nous montre encore davantage, puisquelle nous amène à nous questionner sur la façon dont ces espèces interagissent avec le micro-monde qui les entoure. Comment elles le ressentent, le perçoivent et le parcourent ? Quels sont les dangers auxquels elles doivent faire face ?

Noublions pas que ces formes de vie se déplacent dans un milieu étrange : si petites et si légères, lair est pour elles comme leau pour nous, avec ses règles physiques auxquelles elles ne peuvent se soumettre et qu'elles doivent maîtriser pour leur survie. Elles sont dotées dune grande diversité de moyens de propulsion, mais peu de moyens similaires à ceux des animaux macroscopiques. Cest un monde dans lequel elles évoluent comme nous évoluons à la surface de la terre et les poissons sous leau, mais cest un milieu très différent, et une curiosité en soi.

Malheureusement, léchelle à laquelle ces créatures évoluent provoque leur invisibilisation : certes, techniquement, nous ne pouvons les voir sans appareil adéquat. De même que certains objets astronomiques ne peuvent être vus sans télescope. Mais nous disposons du matériel nécessaire, et à un tarif abordable.

Peut-être aussi que la microscopie est plus complexe que lastronomie : un astronome amateur na pas forcément besoin de connaître les notions complexes de son champ dactivité pour faire des observations de qualité. Avec des télescopes presque entièrement automatisés (il suffit de leur donner les coordonnées dun objet via son téléphone portable pour quils le pointent sans le moindre effort), nimporte qui ou presque peut observer lespace. Cest réducteur évidemment2 , mais la technologie embarquée dans les télescopes semi-professionnels permet de faire cela.

Au contraire, la microscopie a peut-être une courbe dapprentissage plus importante, et ce dautant plus que la littérature - à destination des adultes - nest pas spécialement prolifique.

En nous mettant directement au contact des espèces observées, la première difficulté dun amateur serait de nommer correctement ce quil voit. Sans parler de la préparation des lames dobservation : la plupart des microscopes disponibles sur le marché sont vendu avec des lames préparées à lavance pour pouvoir observer quelque chose dintéressant dès le déballage du microscope, ne laissant pas lobservateur complètement démuni lors de son achat.

Mais, avec un peu de rigueur (scientifique, évidement), du matériel (comme les boîtes de Pétri, des pipettes, quelques colorants, etc.), et surtout avec un peu de documentation, voire quelques Atlas du Vivant à léchelle microscopique, on peut commencer à documenter correctement nos observations, et en douter.

Car le doute est non seulement au coeur de lexpérience scientifique, il est aussi le lien social entre lamateur et le professionnel, et cest de ce lien dont a besoin la microscopie pour intégrer les rangs des sciences participatives.

Alors, à vos microscopes !


  1. Que les astronomes amateurs me pardonnent ce raccourci dans la mesure où mon prochain projet pour 2025 est de m'offrir un tel télescope... ↩︎