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# La place de l'Homme
Pour prétendre que l'Humain est primitif, il est crucial de rappeler qui est
l'Humain. Qui sommes-nous ? Quelle place occupons-nous dans le monde ? Depuis
quand existons-nous ? Si ces réponses peuvent sembler évidentes, elles peuvent
toutefois manquer d'exprimer leur envergure, ou de rendre compte des échelles de
temps qu'elles impliquent.

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## Dans l'Arbre du Vivant
Si Aristote, au IV^ème^ siècle avant notre ère, a été parmi les premiers à
proposer une classification des espèces[@aristote_histoire_1883] contenant cinq
cent huit noms d'animaux, distinguant déjà un genre et une espèce, et supposant
déjà une certaine forme de hiérarchie, il faudra attendre 1735 pour que Carl von
Linné publie _Systema Naturae_[@von_linne_systema_1768], où il
formalise une classification du vivant, et finira par introduire la nomenclature
binomiale dans sa dixième édition. C'est à lui que l'on doit notre nom, _Homo
sapiens_.
Cette nomenclature sera encore améliorée au fil des siècles, et elle est
toujours utilisée aujourd'hui. Elle permet désormais davantage d'intermédiaires
dans la classification, et certaines espèces peuvent utiliser une notation
trinomiale. Par exemple, _Canis lupus domesticus_, le chien domestique.
La place de l'Homme dans cette nomenclature a mis un certain temps avant de
faire consensus: à la fin du XVIII^ème^ siècle, les scientifiques n'ont pas
encore abandonné les doctrines chrétiennes. Dans _Systema Naturae_, Linné ne
fait que "décrire et classer les créations divines"
[@contributeurs_wikipedia_systema_2020]. Même Buffon, dans son _Histoire
Naturelle_[@buffon_histoire_1804] datant de 1804 (pour le dernier volume) place
l'Humain à part, au sommet de la Création, "au-dessus" de toutes les autres
espèces, et il ne faudra rien de moins que la "révolution darwinienne" en 1859 -
la publication de _L'Origine des Espèces_[@darwin_origine_1870] par Charles
Darwin - pour oublier la _Scala Naturae_ linéaire utilisée jusqu'alors. On
passera d'une classification en échelle à une classification arborescente:
l'arbre phylogénétique.
Pièce majeure de la littérature scientifique tout en étant accessible à tous,
_L'Origine des Espèces_ a provoqué un bouleversement de la conception de la Vie,
ses origines, et sa diversification. Darwin théorise la sélection naturelle et
l'évolution des espèces, bousculant le dogme de la théologie naturelle alors en
vigueur, selon lequel toutes les espèces avaient été créées par Dieu, et
qu'elles ne pouvaient donc ni s'éteindre ni apparaître spontanément. La théorie
de Darwin était si avancée et si éloignée des dogmes religieux d'alors qu'elle
ne fut finalement largement admise que dans les années 1930. D'ailleurs, Darwin
attendra 1871 pour "_élargir explicitement sa théorie à l'homme_"
[@delyfer_filiation_1999] dans _La Filiation de l'homme et la sélection liée au
sexe_.
Avant cela, et puisqu'ancrés dans la chrétienté, les scientifiques admettaient
encore que l'Homme ne pouvait avoir précédé les évènements bibliques. Même l'âge
de notre Terre faisait débat. Avant que l'on puisse comprendre et utiliser la
radioactivité, découverte par Henri Becquerel en 1896, à des fins de datation,
on pensait que la Terre avait entre trois mille et soixante quinze mille ans,
même si certains auteurs se sont risqués à proposer un âge de plusieurs dizaines
de millions d'années. On doit alors comprendre la confusion des scientifiques
qui découvrirent les premiers fossiles de _Homo sapiens_ en 1823
[@museum_of_natural_history_oxford_red_nodate] et les difficultés, techniques
mais surtout sociales, pour les dater correctement.
Mais _L'Origine des Espèces_ avait initié un profond changement qui devait mener
à l'abandon définitif des dogmes religieux dans les sciences. Quand finalement,
en 1931, on a reconnu la supériorité de la datation radiométrique[^carbone14],
il n'était plus envisageable de considérer l'Humain comme une espèce à part. On
avait désormais tous les éléments en main pour le placer convenablement dans
l'arbre du Vivant:
[^carbone14]: Ce n'est qu'en 1950 qu'on a commencé à utiliser la datation au
carbone 14, mais les modèles mathématiques reposant sur la désintégration
isotopique étaient déjà reconnus plus fiables que n'importe quelle autre
méthode disponible alors.
* L'âge de la Terre se chiffrait en milliards d'années
* Les fossiles humains (et d'autres espèces) purent être datés avec précision,
et certains étaient antérieurs aux temps bibliques
* Établissant la parenté avec les primates, on admit l'existence d'autres
espèces d'Humains, notamment _Homo neanderthalensis_, l'Homme de Néandertal,
déjà découvert en 1829, mais qu'on refusait alors de considérer comme une
espèce distincte de la notre[@contributeurs_wikipedia_homme_2021]
Si nous disons encore, vulgairement et avec dédain, que l'Homme descend du
Singe, c'est en réalité un peu plus compliqué. Aristote proposait la théorie de
la génération spontanée dans son _Organon_[@aristote_organon_nodate], selon
laquelle les larves de mouche apparaîtraient spontanément sur la viande en
décomposition, les souris naîtraient dans les tas de linges sales, et les mites
sur la laine. Une théorie encore soutenue par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire
(1805 - 1861) (à l'origine de l'éthologie, dont on reparlera plus tard) et
Jean-Baptiste de Lamarck (1744 - 1829) (qui théorisa l'évolution des espèces
juste avant Darwin). Mais elle fut finalement prouvée fausse par Louis Pasteur
au XIX^ème^ siècle: il montra, grâce au procédé de la pasteurisation, que ce
qu'on pensait alors apparaître spontanément était en fait déjà là, sous la forme
dœufs ou de germes.
> Aujourd'hui, les scientifiques s'accordent à dire que toute la vie actuelle
> découle d'une vie antérieure, qui est devenue progressivement plus complexe et
> s'est diversifiée grâce au mécanisme d'évolution par sélection naturelle
> décrit par Charles Darwin.[@contributeurs_wikipedia_origine_2021]
Techniquement, l'Histoire de l'Homme est celle de toute créature vivante sur
Terre, dont le _DACU_, le _Dernier Ancêtre Commun Universel_
[@contributeurs_wikipedia_dernier_2020]: s'il n'est pas encore clairement
identifié, on sait néanmoins qu'il est à l'origine des trois domaines du Règne
Animal dans l'arbre du Vivant: les Bactéries, les Archées et les Eucaryotes, et
qu'il est apparu il y a entre 3,3 et 3,8 milliards d'années.
Ainsi, l'arbre phylogénétique permet le classement des espèces, tout en faisant
apparaître leurs liens de parenté. Chaque "branche" de cet arbre, appelé
"clade", défini les caractéristiques des espèces qui y appartiennent.
La phylogénie spécifique à _Homo sapiens_ apparaît donc sous la forme d'une
liste de clades présentée dans le tableau suivant, du clade le plus spécifique
au plus général:
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Clade | Description |
+===================+==========================================================+
| Homo  | Nous, H. neanderthalensis, H. erectus, H. ergaster, etc. |
| | Nous sommes la dernière espèce du genre. |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Hominina  | Lignée humaine, incluant les australopithèques, les |
| | paranthropes, etc. |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Hominini  | Hominina et Panina (chimpanzés) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Homininae  | Hominini et Gorillini (gorilles) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Hominidae  | Homininae et Ponginae (orang-outans) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Hominoidea  | Singes sans queue, "grands singes". |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Catarrhini  | Nez orienté vers le bas. |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Simiiformes  | Singes. Occlusion arrière des globes oculaires. |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Haplorrhini  | Nez simple: ces Animaux n'ont plus de truffe ni de |
| | vibrisses (moustaches). |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Primates  | Singes, lémuriens |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Euarchontoglires | Primates, rongeurs, toupayes |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Boreoeutheria  | Euarchontoglires et Laurasiathériens (incluant les |
| | chiens, les chats, les cétacés, les chauve-souris, |
| | les taupes, etc.) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Placentalia  | Mammifères dotés d'un placenta (et donc, qui accouchent |
| | de leur progéniture) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Eutheria  | Tout mammifère placentaire et non marsupiaux |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Theria | Mammifères placentaires et marsupiaux |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Mammalia  | Animaux allaitant leur petits |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Tetrapoda  | Animaux comportant deux paires de membres et dont la |
| | respiration est normalement pulmonaire |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Gnathostomata  | Animaux vertébrés à machoires |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Vertebrata  | Animaux vertébrés (dotés d'une colonne vertébrale) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Chordata  | Animaux dotés d'un squelette interne |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Deuterostomia  | Animaux dotés d'un pharynx percé de fentes |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Nephrozoa  | Animaux dotés de reins |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Bilateria  | Animaux dotés d'un côté gauche et d'un côté droit |
| | (excluant donc les méduses et les éponges de mer) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Animalia  | Tous les animaux |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Eukaryota  | Tous les organismes dont la ou les cellules comporte(nt) |
| | un noyau |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
Ce tableau nous montre que nous ne descendons pas que du singe, qu'il y a une
variété d'Animaux entre le _DACU_ et les singes, et doit donc nous indiquer la
faible proportion qu'occupe l'Humain dans l'arbre phylogénétique, d'autant qu'il
manque probablement un certain nombre de clades intermédiaires dépendant de
découvertes génétiques encore à venir. Une autre représentation de l'arbre
phylogénétique met cela en évidence de façon beaucoup plus nette: _Eukaryota_
est la partie en rose du disque représentant les trois Règnes du Vivant, _Homo
sapiens_ étant représenté sur la droite de cette section (détail ci-dessous).
![](tree-of-life-quarter.png)
![_Image #1_: Arbre phylogénétique, basé sur le génome d'après Ciccarelli et al.
(2006), mettant en évidence les trois domaines du vivant : les eucaryotes en
rose (animaux, champignons, plantes et protistes), les bactéries en bleu, et les
archées en vert.[@contributeurs_wikipedia_arbre_2021]](tree-of-life.png)
La science émancipée ne place plus _Homo sapiens_ au cœur du Règne du Vivant,
place désormais dédiée au _DACU_. L'héritage religieux et culturel de l'humain
continue pourtant de fausser notre perception de nous-même au sein de cet
ensemble. Nous avons pris tant de place dans les écosystèmes qu'intuitivement,
nous pensons toujours que notre espèce est au sommet de toute statistique que
nous pourrions établir sur le Vivant. Pour la phylogénie, et ne considérant que
la biosphère Terrestre, nous ne sommes qu'une espèce parmi des dizaines de
millions[@frontier_ecosystemes_2008], rien que chez les eucaryotes. Imaginez,
dans l'arbre du Vivant circulaire que nous venons de voir, et gardant à l'esprit
qu'il est très partiel, combien d'espèces peuvent représenter la zone en bleu.
Imaginez maintenant que la Vie existe ailleurs dans l'univers, possiblement sur
des millions de planètes, et vous aurez une vague idée de la position de notre
espèce dans l'Arbre du Vivant, à supposer que nous ne découvrions pas de
nouveaux domaines du Vivant en plus des trois représentés ici.

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## Dans l'Histoire
Au cours du temps, et en l'état actuel de nos connaissances, on dénombre pas
moins de quatorze[@pin_combien_nodate] espèces du genre _Homo_. La plus récente,
et probablement la plus connue du grand public, est donc _Homo
neanderthalensis_, espèce disparue il y a environ trente mille ans seulement.
_H. sapiens_ et _H. neanderthalensis_ (entre autres) se sont partagés la planète
pendant environ trois cent mille ans, âge du plus ancien fossile connu de _Homo
sapiens_[@hublin_new_2017].
Cela peut paraître long. Après tout, la chute de Rome date d'il y a mille six
cents ans environ. Et la Révolution Française a eu lieu il y a moins de deux
cent cinquante ans. Pourtant, à l'échelle des temps, c'est peu. Car si _Homo
sapiens_ existe depuis trois cent mille ans, de nombreuses espèces ont vécu bien
plus longtemps, même en ne considérant que le genre _Homo_: _H. erectus_ a vécu
pendant près de deux millions d'années[@sacco_homo_nodate], dont les dernières
deux cent mille à nos côtés, ce qui signifie que _H. erectus_ a foulé "notre"
sol près de trois fois plus longtemps que nous.
![_Image #2_: Les Hominines au cours du temps (échelle : milliers d'années).[@contributeurs_wikipedia_histoire_2021]](hominines.png)
Et pourtant, cela reste encore peu, comparé aux dinosaures par exemple, qui ont
dominé notre planète pendant presque deux cent millions d'années, donc cent fois
plus longtemps que _H. erectus_, plus de trois cent fois plus longtemps que
nous. Et si cela ne suffit pas à établir la jeunesse de notre espèce,
considérons les bactéries, premières formes vivantes connues et toujours
actives, qu'on estime être apparues il y a trois milliards quatre cent soixante
millions d'années.
Les plus jeunes n'ont que les livres d'histoires pour cultiver la mémoire de la
Révolution Française, ou de la Guerre Civile Américaine, ou de la libération de
l'Inde. On imagine le Moyen-Âge comme un vague monde sombre, distant, très
ancien, primitif. Et dans l'imagerie populaire, Cro-Magnon est un vieux parent
dont on ne sait rien sinon qu'il vivait dans une caverne, alors quen réalité,
c'est un _Homo sapiens_, tout comme nous, dont les fossiles ne datent que de
quarante-cinq mille ans au plus.
De la même manière que la phylogénie permet de construire un "arbre du
Vivant", la géochronologie nous permet de construire un "arbre des temps
géologiques", dont les ramifications ne cessent de se multiplier au fil des
découvertes. On a précédemment établi la phylogénie de _Homo sapiens_, d'abord
dans un tableau, puis dans l'Arbre du Vivant ; nous allons faire de même avec
son Histoire, de l'unité géochronologique la plus récente à la plus ancienne.
La géochronologie est une discipline scientifique permettant d'utiliser les
différentes couches rocheuses pour dater avec précision les évènements survenus
sur Terre. L'_International Commission on Stratigraphy_[^ICS], subordonnée à
l'_International Union of Geological Sciences_[^IUGS], est en charge d'établir
une échelle des temps géologiques codifiée, y compris la couleur représentant
chaque période de temps. Cette échelle offre un référentiel temporel commun à
d'autres disciplines, comme par exemple la paléontologie.
[^ICS]: <https://www.iugs.org>
[^IUGS]: <https://stratigraphy.org/timescale/>
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Unité géochronologique | Début | Point de départ |
+========================+================+====================================+
| Méghalayen | -4 200 | Débutée par une période de forte |
| | | aridité, ayant peut être conduit à |
| | | la disparition de certaines |
| | | civilisations comme l'Ancien |
| | | Empire Egyptien, l'Empire Akkad, |
| | | ou Liangzhu en Chine |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Holocène | -11 700 | Début du dernier réchauffement |
| | | climatique naturel |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Quaternaire | -2 588 000 | Retour des glaciations |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Cénozoïque | -66 000 000 | Extinction du Crétacé |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Phanérozoïque | -541 000 000 | Émergence de formes de vie |
| | | complexes, tels les trilobites |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Naissance de la Terre | -4 600 000 000 | |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
Voyons maintenant quelle place occupent ces différentes divisions dans
l'Histoire de la Terre. Nous placerons différents jalons sur ces graphiques afin
de pouvoir nous repérer.
![_Image #3_: Les trois âges de l'Holocène, dont le Méghalayen dans lequel nous vivons actuellement.](holocene.png)
On peut déjà voir sur ce premier graphique, représentant l'époque de l'Holocène,
le rapport temporel entre l'Antiquité (définie par les historiens français comme
étant la période démarrant à -3000 av. J.-C. et finissant à la chute de
l'Empire Romain) et notre époque moderne (démarrant avec la découverte des
Amériques en 1492). Même le Moyen-Âge parait bien court.
![_Image #4_: Les deux époques du Quaternaire, l'Holocène en rose sur la droite.](quaternaire.png)
Ce second graphique nous montre que la plupart des espèces du genre _Homo_ sont
apparues lors du Pléistocène, précédant l'Holocène. Il montre la faible
proportion temporelle de l'Holocène au sein de la période du Quaternaire qu'on
distingue à peine sur l'extrémité droite. Pourtant, nous allons voir que même le
Quaternaire est une période bien courte à l'échelle des temps géologiques.
![_Image #5_: Les trois périodes de l'ère Cénozoïque. Les dates sont exprimées en millions d'années.](cenozoique.png)
Au lendemain de la catastrophe du Crétacé, qui causa l'extinction de plus de la
moitié des espèces vivantes dont les dinosaures, la Vie a repris, au profit des
mammifères et des oiseaux qui ont connu, lors du Paléogène et du Néogène, une
prospérité que ces Animaux conservons, pour la plupart, jusqu'à l'Holocène. Le
Néogène vit d'ailleurs l'apparition de nos plus anciens ancêtres - ou cousins -
connus jusqu'ici: _Sahelanthropus tchadensis_ et _Australopithecus afarensis_,
autrement connus sous les noms respectifs de _Toumaï_ (découvert par le
paléontologue français Michel Brunet en juillet 2001) et _Lucy_ (découverte par
une expédition internationale en 1974, à laquelle ont notamment participé Donald
Johanson, paléoanthropologue américain, et les français Maurice Taieb - géologue
- et Yves Coppens - paléontologue). La flore sépanouit, sous forme de plantes
herbacées, de ginkgos, d'eucalyptus, mais aussi les créatures marines (telles
que les premières baleines et espadons), les insectes et les oiseaux, notamment
ceux inaptes au vol et/ou géants.
Nous venons de couvrir les dernières soixante six millions d'années, depuis
l'extinction des dinosaures. Continuons donc notre exploration du temps en
voyant la place occupée par le Cénozoïque au sein de l'éon du Phanérozoïque.
![_Image #6_: Les trois ères du Phanérozoïque. Les dates sont exprimées en millions d'années.](phanerozoique.png)
Cette période a connu deux extinctions massives en relativement peu de temps:
celle du Permien-Trias et celle du Trias-Jurassique. Pourtant, elle fut l'hôte
des plus grandes créatures ayant jamais foulé le sol de la Terre, celui-là même
où vous pourriez avoir construit votre maison, ou là où se trouve la route que
vous empruntez. Elle a également connu de grandes diversifications du Vivant,
notamment des dinosaures qui ont vécu pendant près de deux cents millions
d'années, mais aussi de la faune aquatique, et de la flore terrestre.
Mais il nous reste encore un dernier graphique à observer pour compléter notre
bref aperçu des temps géologiques.
![_Image #7_: Les quatre éons de l'Histoire de la Terre, avec le Phanérozoïque à droite. Les dates sont exprimées en millions d'années.](eons.png)
Ces graphiques nous montrent bien la fugacité de notre espèce, et même de notre
lignée, mais ils ne témoignent pas de l'activité réelle de la Vie au cours des
Âges. Nous avons l'impression que l'Histoire de l'Homme ne devient très riche
qu'à partir du Moyen-Âge, ou du Siècle des Lumières, voire à partir de
l'industrialisation. Ce sentiment nous incite à croire en un certain calme
passé, vaguement ponctué de quelques extinctions de masse, des dinosaures, et
d'autres choses mais rien d'aussi riche que l'Histoire de l'Homme. Je suppose
que ce sentiment s'explique d'une façon ou d'une autre, même si je ne peux
étayer ces propos par des données scientifiques. Mais ce que j'aimerais mettre
en avant ici, c'est qu'au contraire, notre Histoire est extrêmement courte par
rapport à celle de la Terre, ou même par rapport aux premières espèces vivantes,
et au _DACU_, et sa richesse ne peut en rien être comparée à celle des quatre
milliards d'années qui nous ont précédé.
***
Bien sûr, être une espèce jeune n'implique pas nécessairement de tout
recommencer. L'évolution des espèces nous permet de nous appuyer sur tout
ce que les espèces ayant précédé et ayant été contemporaines de _H. sapiens_
nous ont appris. L'utilisation des outils, la domestication du feu, l'industrie
lithique et même l'art, tout cela a contribué à ce que nous soyons aussi avancés
que les autres espèces humaines à peu près au moment de notre apparition. Si
nous n'avions pas été contemporains de _H. neanderthalensis_ (et d'autres
espèces telles que l'Homme de Denisova), si nous avions été isolés comme a pu
l'être _H. floresiensis_[^floresiensis], peut être que nous aurions connu le
même destin. C'est parce que _H. neanderthalensis_ (entre autres) a partagé sa
culture avec nous que nous nous considérons comme l'espèce dominante
aujourd'hui, une considération qu'il est facile d'avoir lorsque nous sommes les
derniers représentants d'un genre entier.
[^floresiensis]:
H. floresiensis semble avoir été endémique de lîle de Florès. Son
caractère insulaire a probablement été la cause de sa disparition.
Voir @brown_new_2004
Il aurait été réellement très intéressant de voir comment nos sociétés auraient
évolué si, de nos jours, il existait encore d'autres espèces parmi le genre
_Homo_. Bien des choses auraient probablement été différentes, en particulier si
l'on considère que nous sommes à l'origine de la disparition de certaines
d'entre elles. C'est, du moins, la théorie que je soutiens, en dépit de la
théorie de la catastrophe de Toba[@contributeurs_wikipedia_theorie_2020], qui
suppose plutôt une réduction drastique des populations de l'ensemble genre
_Homo_ à cause de l'éruption massive du volcan du même nom.
Car notre espèce, _H. sapiens_, a eu un impact considérable sur les autres
membres du genre _Homo_. En fait, malgré la jeunesse de notre espèce, nous avons
un impact considérable sur toutes les espèces, puisque nous avons déjà causé
l'une des six extinctions massives dont la biosphère a été victime depuis que la
Terre abrite la Vie. En effet, si la plus connue est probablement celle du
Crétacé-Paléogène, il y a soixante six millions d'années et qui causa la
disparition de la moitié des espèces vivantes (dont les dinosaures), nous sommes
responsables - au moins en partie - de l'extinction de l'Holocène depuis dix
mille ans. C'est la seule extinction massive due à une espèce particulière, les
autres extinctions étant toutes imputées à des causes naturelles.
***
Je soutiens une théorie "mixte" concernant l'extinction du genre _Homo_
l'exception de _H. sapiens_): nous avons absorbé la culture des autres espèces
du genre _Homo_ qui nous ont été contemporaines et avec qui nous étions en
contact fréquent, donc principalement _H. neanderthalensis_ en Europe, _H.
floresiensis_ aux Philippines, _H. erectus_ en Asie et en Afrique. Par
"absorption" de leur culture, j'entends que pendant quelques temps, nous avons
appris de ces espèces, nous avons perfectionné ces connaissances, sans toutefois
leur transmettre ces perfectionnements, tout en absorbant leur génome dans le
même temps (par hybridation).
_H. sapiens_ a domestiqué le chien il y a environ quarante mille ans, coïncidant
avec la disparition de _H. neandethalensis_. C'est, pour l'anthropologue Pat
Shipman, ce qui a permis à _H. sapiens_ de prendre l'ascendant sur _H.
neanderthalensis_[@lambert_domestication_2012]: le loup devenu chien lui a
conféré un avantage considérable dans son approvisionnement en viande - en
particulier des grands herbivores de l'époque et notamment des mastodontes. Nous
ne disposons d'aucun indice attestant de la domestication du chien chez les
autres espèces du genre _Homo_, ce qui pourrait laisser entendre que _H.
sapiens_ n'a pas transmis son savoir, contribuant ainsi à la réduction des
populations des autres espèces de façon "passive", engendrant de la
consanguinité, et finalement, l'extinction.
Il y aurait aussi contribué de manière active: pas par élimination (puisqu'on ne
trouve aucune trace de violence physique dans leurs fossiles), mais par
hybridation, soit qu'elle ait entraîné une baisse de la fertilité chez les
autres espèces, soit qu'elle ait contribué à noyer leur génome dans le notre.
L'hybridation est une autre des théories actuellement envisagées par le
paléontologue finlandais Björn Kurtén (1924 - 1988) dans le roman de
paléo-fiction _Dance of the Tiger_[@kurten_dance_1995].
En sus de ces hypothèses, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de trouver des
causes différentes à l'extinction des autres espèces du genre _Homo_ qu'aux
autres espèces disparues au cours de l'Holocène. Nous sommes directement
responsables de l'extermination des grands Animaux (ce qu'on appelle la
Mégafaune, notamment les mammouths, mais aussi les grands félins et oiseaux),
que ce fut par chasse, ou par leur déplacement à notre convenance, ce qui
perturba grandement certains écosystèmes. Nous sommes directement responsables,
encore aujourd'hui, de la destruction des forêts, rendue nécessaire par la
découverte puis l'étalement de l'agriculture, que l'on réduit par des incendies
volontaires (l'écobuage), un phénomène que l'on atteste en Chine il y a huit
mille ans déjà.
Il est probablement compréhensible que nous n'assumions pas en être responsable,
surtout si l'on met ce comportement en parallèle avec les croyances que nous
avons cultivé et avec le commerce que nous avons développé, nous donnant un
sentiment de légitimité de ce comportement. Nous restons, malgré tout, et encore
aujourd'hui, dans l'incapacité de concilier l'orientation économique que notre
espèce a choisi et la survie des autres. Si, dans l'Antiquité, la religion
parlait davantage aux populations que la science, l'argent est la religion
d'aujourd'hui, et nous encourage à poursuivre notre œuvre de destruction, et
nous rend sourds aux appels d'urgence de la science. Car si mon hypothèse n'est
malheureusement pas vérifiable en l'état actuel de nos connaissances, on a pu en
revanche constater les effets dévastateurs de l'économie à notre échelle de
temps. Il est plus que probable que nous ayons contribué à l'extinction des
autres espèces du genre _Homo_, mais il est absolument certain que nous avons
directement contribué à l'extinction ou la quasi-extinction de beaucoup
d'espèces[@contributeurs_wikipedia_chronologie_2020], tant Animales que
Végétales et Fongiques. Telle est notre place dans l'Histoire de la Terre.
***
Le postulat de cet essai est que nous sommes plus primitifs que nous le pensons.
Nous venons de voir que notre espèce est jeune, et qu'elle n'est devenue
dominante que suite à l'absorption de la culture d'autres espèces que nous avons
fini par faire disparaître Cela prouve, certes, un certain type d'avance
intellectuelle sur nos anciens congénères, mais cela prouve également notre
primitivisme: si nous avions partagé avec les autres cultures (comme l'a fait
_H. neanderthalensis_ ou l'_Homme de Denisova_ avec nous) au lieu de les
absorber, nos civilisations respectives s'en trouveraient sûrement beaucoup plus
avancées aujourd'hui. Au lieu de cela, nous en sommes devenus les uniques
représentants dans un égoïsme rare, peut être unique parmi le genre _Homo_.
Voyez de quoi _H. sapiens_ est responsable ces vingt mille dernières années:
l'invention de l'écriture, la fondation de Rome, deux guerres mondiales, la
démocratie, une puissante industrie, une culture rayonnante, une extinction
massive, la colonisation de tous les continents, l'énergie solaire, les
satellites, la bombe atomique, etc. Imaginez maintenant ce qui aurait pu être
créé et découvert si _H. neanderthalensis_, _H. floresiensis_ ou _H.
denisovensis_ avaient pu continuer à partager la planète avec nous pendant deux
cent mille ans, si vous avions partagés nos cultures, notre intelligence, nos
connaissances, au lieu de simplement nous les approprier.
Nos sociétés actuelles s'en seraient retrouvées plus grandes, plus fortes, et,
pour finir, plus évoluées. Je crois, quoiqu'il en soit, que si plusieurs espèces
d'humains existaient encore de nos jours, notre perception du monde serait bien
différente. Ou bien nous n'aurions pas plus de considération pour ces autres
espèces que nous en avons pour les chimpanzés, pourtant espèce génétiquement la
plus proche de la notre, et que nous les aurions simplement placés dans des
cages avec du foin...